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Notre forêt sèche est en train de disparaître. Nos ressources de pêches sont en déclin à cause de mauvaises pratiques de pêche. Ce qui nous reste maintenant, c’est la forêt de mangroves. Elle est notre avenir et celle des prochaines générations. Alors, même si je suis vieux, avec des cheveux blanc, je vais faire de mon mieux pour protéger notre richesse ».
Dans le village de Morangobe, au sud-ouest de la baie de Mahajamba, M. Tsimitrambogno, olobe (leader communautaire) du village et membre de l’association de pêcheurs, résume un sentiment collectif.
Alors que la forêt terrestre est sans cesse grignotée par les feux de brousse, les communautés sont de plus en plus dépendantes des mangroves, si vitales pour leur subsistance et pour la biodiversité de Madagascar. Mais cette forêt de mangrove est elle aussi menacée par la déforestation, due à l’exploitation illégale pour le charbon et le bois de construction.
Face à ces enjeux, les communautés de la baie de Mahajamba sont en train de s’engager dans la gestion directe et durable de leurs ressources marines et de leurs mangroves. Pour cela, elles ont deux outils de gestion à disposition : les Dina, des conventions locales de droit coutumier qui permettent de mettre en place des mesures de gestion au niveau des communautés, et les transferts des droits de gestion des mangroves par l’Etat malgache en faveur d’associations communautaires formalisées, appelées VOI (Vondron’Olona Ifotony).
Partager les leçons apprises
Cela fait plus de huit ans que je travaille avec les communautés de petits pêcheurs dans le nord-ouest de Madagascar. J’ai longtemps appuyé les associations communautaires de la baie de Tsimipaika, non loin de la ville d’Ambanja, pour mettre en place Dina et transfert de gestion. Depuis un an, je suis également chargé de soutenir la gouvernance communautaire dans la baie de Mahajamba, à plus de 700 km de là, où les petits pêcheurs de 14 villages se sont récemment regroupés en 7 associations formalisées.
Les leçons apprises avec les communautés de la baie de Tsimipaika, je peux aujourd’hui les mettre à profit avec les communautés de la baie de Mahajamba. J’ai récemment raconté ma dernière mission dans la baie de Mahajamba, et l’intérêt d’établir une collaboration précoce avec les autorités locales et administratives pour établir les bases d’une gestion communautaire des ressources marines à la fois durable, légitime et reconnue.
Mais il y a une autre leçon absolument essentielle : il faut que l’ensemble de la communauté puisse choisir, s’approprier et établir sa gestion locale en toute connaissance de cause. Cela demande du temps, des espaces de concertation, des formations pour les personnes qui assureront la gestion au jour le jour et, par-dessus tout, des échanges d’expériences entre pairs.
Choisir un processus de gestion en toute connaissance de cause
Les processus de mise en place des Dina, et plus encore de transferts de gestion, sont complexes. Il est essentiel de s’assurer que les communautés de petits pêcheurs comme celles de la baie de Mahajamba sont pleinement informées dès le début sur chaque étape du processus et sur l’objectif final.
Les processus de mise en place des Dina, et plus encore de transferts de gestion, sont complexes. Il est essentiel de s’assurer que les communautés de petits pêcheurs comme celles de la baie de Mahajamba – qui vivent dans des endroits reculés, loin des centres administratifs, avec un accès limité à une éducation de base – sont pleinement informées dès le début sur chaque étape du processus et sur l’objectif final. Il faut aussi s’assurer que toute la communauté est impliquée, pour réduire le risque de litiges et de conflits.
Notre rôle est de soutenir des sessions de partage de connaissances pour toute la communauté, des occasions d’échanges directs avec les autorités concernées, et un comité de discussion avec les olobe dans chaque village. Et dans ce cadre, l’étape dont il faut prendre le plus grand soin, c’est l’information sur le fonctionnement, le rôle, les responsabilités et les objectifs des VOI.
Créer une association peut être fait en un jour : il suffit d’organiser une réunion communautaire, obtenir l’adhésion des personnes influentes, et procéder au vote du Président, Vice-Président et Trésorier. Mais cette association existera uniquement sur le papier. Sans cohésion et sans compréhension commune des objectifs, des rôles et des responsabilités, l’association ne sera qu’une coquille vide.
Pour que leur VOI soit solide, il est essentiel que les communautés développent toutes les compétences techniques nécessaires grâce à un processus de partage d’informations, de consultation, de formation et d’apprentissage pratique sur plusieurs années.
Des changements dans la baie
Je me suis déjà rendu plusieurs fois dans la baie de Mahajamba. Mais, lors de ma dernière mission, pour la première fois, j’ai pu vraiment passer du temps simplement à observer le mode de vie des pêcheurs, qui vivent selon la pêche du jour. Leurs villages ont pour seul horizon la forêt sèche en proie aux feux de brousse, et les mangroves sous la pression de l’exploitation illégale pour le bois de construction, des cyclones et de l’ensablement. Les zones de pêche littorale sont encombrées par les pêcheurs locaux et les pêcheurs venus d’ailleurs sur la côte, qui sont tous confrontés à la raréfaction des captures, et qui recourent trop souvent, de guerre lasse, à des pratiques illégales de pêche.
Ça m’a touché de les entendre raconter leur histoire, de les écouter partager leurs souffrances et leurs peurs face à la raréfaction de leurs ressources.
Lors de mon passage dans le village de pêcheurs d’Antsaregy, j’ai pu discuter longuement avec plusieurs olobe. Ça m’a touché de les entendre raconter leur histoire, de les écouter partager leurs souffrances et leurs peurs face à la raréfaction de leurs ressources. Cela m’a donné de l’espoir aussi, quand, après avoir exprimé leur volonté de se battre pour assurer la protection de ces ressources pour les générations futures, les olobe m’ont parlé des prochaines étapes du processus : « Nous souhaitons créer une zone de conservation pour la mangrove et une zone de réserve pour les crabes. Nous attendons aussi avec impatience la prochaine grande étape : la formalisation de notre Dina pêche et mangroves », a récapitulé avec force Tsimivogny, président de l’Association de pêcheur Morangobe.
Entre 2019 et 2020, les communautés avec qui nous travaillons en partenariat dans la baie de Mahajamba ont formalisé 7 associations de pêcheurs, ce qui représente une étape importante. Les associations de pêcheurs gèrent déjà les cartes de pêche obligatoires dans toute zone de pêche à Madagascar, veillent au respect de la loi en matière de fermetures nationales et de pratiques légales de pêche, gèrent les petits conflits et mènent des actions de sensibilisation auprès de leur communauté sur tous ces aspects.
En un an et demi, depuis la création de nos associations de pêcheurs, nous avons déjà discuté de nombreuses mesures de gestion que nous aimerions inclure dans notre Dina, notamment l’interdiction du talana (un filet de pêche très fin, capturant beaucoup de juvéniles et donc très destructeur). Nous avons également soumis une lettre au Président Nord-Ouest de MIHARI, le réseau des Aires Marines à Gestion Locale à Madagascar, pour signaler des infractions à la loi sur la pêche auprès de la Direction Régionale de la Pêche », raconte Papan’i Bolida, un conseiller au sein de l’association de pêcheur du village d’Antangena.
Ces trois dernières années, les communautés que nous soutenons dans la baie de Mahajamba ont ainsi acquis la plupart des compétences et expériences nécessaires pour la mise en place d’une structure de gouvernance et de gestion de type VOI. Cependant, tout cet accompagnement technique et administratif serait bien fragile sans l’engagement collectif des communautés, inspirées par l’exemple concret d’autres associations et des échanges d’expérience directs entre pêcheurs.
La visite à Velondriake
Dans le village d’Antsaregy, lorsque j’écoutais le récit des olobe, un nom est revenu plusieurs fois : Velondriake. C’est le nom de l’association gestionnaire de la première Aire Marine à Gestion Locale (AMGL) créée à Madagascar, dans le sud-ouest du pays. Plusieurs de ces olobe ont rendu visite à Velondriake en 2019, dans le cadre d’une visite d’échanges sur les réserves de mangrove. Ils ont pu observer de leurs propres yeux à quoi ressemblent les réunions de l’association Velondriake et les patrouilles de surveillance communautaires dans les mangroves. Ils ont aussi pu visiter les réserves de pêche, et discuter avec les petits pêcheurs gestionnaires de la zone. A travers l’exemple concret d’une autre communauté travaillant à la protection de ses ressources, les visiteurs venus de la baie de Mahajamba ont acquis une compréhension pratique des avantages de la gouvernance locale, et pris directement la mesure de l’engagement nécessaire.
Lorsqu’ils sont retournés dans la baie de Mahajamba, ils ont pu décrire au reste de la communauté les actions de Velondriake pour la gestion locale des mangroves, et ont discuté de la manière d’adapter le modèle de gestion qu’ils avaient vu à leur contexte local. « Si un jour nous arrivons à être aussi bien organisés que l’association Velondriake, je ne serais plus inquiète pour nos ressources dans le futur », a dit Maman’i Liva, membre de l’association des pêcheurs d’Andranoboka, qui avait participé à la visite.
Une toute première réserve sur décision de gouvernance autonome !
Peu de temps après, quelques îlots de la baie ont été déclarés réserves interdites de pêche pour les crabes et les crevettes. Pour cela, les olobe ont renforcé un fady, un interdit traditionnel, à travers un rituel. Une toute première réserve sur décision de gouvernance autonome !
Une mise à l’échelle par les communautés
Si le soutien technique et administratif fourni par les ONG et les partenaires est essentiel, les échanges entre pêcheurs confrontés aux mêmes défis fournissent les conseils pratiques les plus efficaces pour les communautés qui souhaitent mieux gérer leurs ressources naturelles. Les visites d’échanges leur permettent de faire l’expérience de la réalité quotidienne de la mise en place, du fonctionnement et de la gestion des VOI et, surtout, de visualiser clairement l’objectif final collectif.
En avril 2021, une nouvelle visite d’échanges est prévue, cette fois dans la baie de Tsimipaika. Pour les représentants des communautés de la baie de Mahajamba, l’objectif sera triple : apprendre comment fonctionnent les fermetures temporaires de la pêche aux maquereaux, s’inspirer de l’engagement des communautés de la baie de Tsimipaika à faire appliquer les Dina sans peur et, en retour, leur enseigner la méthode de fumage de poisson.
Cette visite sera la prochaine étape d’une série croissante d’échanges d’apprentissage dans le domaine de la pêche à travers Madagascar, afin que les communautés elles-mêmes mettent à l’échelle leurs modèles de gestion durable des ressources naturelles.
Découvrez la première partie de l’histoire de Zo sur la mise en place d’une gouvernance communautaire dans la baie de Mahajamba